La belle esseulée
Elle était là chaque nuit, éclairée par la seule lumière bleue de la lune qui filtrait à travers le feuillage de cette forêt luxuriante et mystérieuse. Au milieu des arbres centenaires recouverts de lierre elle s'agenouillait dans la poussière, baissait la tête et restait immobile de longues heures jusqu'à ce que le soleil reprenne son règne dans le ciel de l'aube. Des larmes perlaient, grossissaient et coulaient le long de ses joues incessamment, pour finir englouties dans cet étang qui s'étendait devant ses genoux poussiéreux. Aucun sanglots ne perturbait le silence pesant de la nuit, juste le clapotis des larmes tombant dans l'étang provoquait un son qui s'évaporait dans la forêt. Son visage recouvert de ses longs cheveux noirs délavés par la tristesse lui donnaient un aspect mystérieux, presque irréel. Sa peau blanche comme la neige reflétait l'éclat de la lune et sa longue robe moyenâgeuse maculée de terre recouvrait ses membres inférieurs. Elle pleurait toujours, elle ne s'arrêtait pas, imperturbable. L'étang se dressant devant elle était apparu il y a une centaine d'année, son eau était claire, pure et mystérieusement salée et ne s'était jamais asséchée. 
Ses larmes cessèrent de couler et elle replongea le crâne dans son berceau de larme. Le soleil faisait peu à peu son apparition en ce monde, elle savait que le moment était venu. Elle se releva, laissant ainsi sa chevelure prendre sa place en cachant ses traits comme elle le faisait depuis plus d'un siècle. Elle regarda une dernière fois le crâne de son défunt époux qui semblait la regarder bien en sécurité dans son étang de larme versées par amour. La jeune fille se retourna et s'éclipsa à travers les arbres en même temps que le soleil prenait le dessus sur la reine de la nuit. Le crâne laissé devra attendre toute une journée pour revoir sa belle esseulée revenir agrandir cet étang comme elle le faisait depuis plus de cent ans.

Alice
Le silence pesant de la nuit avait pris le dessus sur la pollution sonore de la ville durant la journée. La lune absente ne faisait profiter personne de sa douce lumière bleue, seuls les quelques lampadaires jaunes perçaient les ténèbres dévoilant ainsi les rues et les chats errants. Au milieu de toute cette vie nocturne invisible, des pas et des souffles brisaient le silence de cette nuit ordinaire. Une femme trentenaire marchait d'un pas pressé en prenant soin d'emprunter les rues non éclairées par les grandes torches électriques. Le bruit de ses talons aiguilles résonnait à travers cette petite ville européenne, elle ne cessait de regarder autour d'elle comme une biche qui serait poursuivie par une meute de loup assoiffés de chaire fraîche. Son visage masqué par un foulard noir, son corps vêtu d'un long impair beige, elle portait un paquet dans le creux de ses bras. Cette femme le serrait contre elle et traversait l'épaisseur de la nuit comme si ce paquet était la lanterne qui éclairait son chemin. Au coin d'une rue, elle s'arrêta et vit se dresser devant elle un grand bâtiment avec de multiples fenêtres perçant les murs faits de briques rouges. Esquivant à nouveau les lumières urbaines, elle fit le tour du bâtiment et arriva dans une petite ruelle non éclairée qui bordait le refuge salutaire des personnes en détresse, l'hôpital. Une porte blanche se faisait deviner à mesure qu'elle s'engouffrait dans ce passage sombre. Une fois arrivée devant ce qui était la sortie des « artistes », elle prit son paquet pour lequel elle avait bravé tous les dangers qu'offre l'absence du soleil et le posa délicatement sur le sol de béton. La femme mystérieuse regarda son protégé d'un regard tendre et empli de tristesse, laissant même une larme ruisseler sur sa joue et tomber sur le drap de velours refermant ce qui aurait du être sa raison de vivre. Une enveloppe fût laissée sur le tissu blanc et Brigitte Cole s'en alla dans les ténèbres comme elle était venue, invisible.
Le colis abandonné par Madame Cole resta près d'une heure sans personne pour lui venir en aide, jusqu'au moment où un homme d'une quarantaine d'année habillé de la blouse blanche typique des médecin fit son apparition dans la ruelle sombre. Regardant droit devant lui, il sortit de sa poche une cigarette et l'alluma avant de tirer une grosse taffe qui témoignait de l’éprouvante nuit passée sur son lieu de travail. Le Docteur voulu faire un pas en avant et buta contre l'obstacle laissé devant la porte. Interrogé par la présence de l'enveloppe, il la prit dans sa main l'ouvra et pu lire une belle écriture qui signifiait « Je ne peux la garder, merci de faire au mieux pour elle...ma Alice. B.C ».
Le médecin prit alors le paquet de velours et le déballa comme on déballerait un cadeau. Il pu alors apercevoir un petit visage rose recouvert de fins cheveux clairs dans ce berceau de tissu. Le Docteur Tilo tendit un léger rictus, ses yeux brillaient comme si c'était le seigneur en personne qui lui avait envoyé ce cadeau précieux. Il rigola salement et emporta Alice avec lui dans cette ruelle sombre où la vie de cette jeune fille allait basculer à tous jamais.